Les Rolling Stones s’époumonaient à travers la radio du véhicule. Vitre ouverte, un coude appuyé dessus, Nash se sentait indubitablement vivant - l'air fouettant son visage meurtri par sa récente expérience. « Alors ? Tu l'as volé ? » Demanda-t-il à son ami, énervé. « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Même si je te disais que je l'ai eu en toute honnêteté, tu ne me croirais pas. » Nash avait le regard vide. Il n'était pas vexé, il connaissait Seamus aussi bien qu'un frère. Mais il ne voulait pas le voir derrière des barreaux purger une quelconque peine. Il ne voulait pas que des gars un peu trop portés sur la bouteille le détruisent. Il ne voulait pas qu'il perde ses espoirs, ses rêves. Il avait souffert, c'était certain. Cependant, au lieu d'expliciter ses craintes, d'avouer ses inquiétudes, Nash préféra le conflit. Comme toujours. Il lui répondit froidement, en éteignant le poste. « T'as raison, je n'ai plus confiance en toi. T'es un pourri et tu ne changeras pas. » Seamus freina brusquement, et la camionnette esquissa deux ou trois dérapages. C'était suffisamment sec pour que le pneu arrière gauche crève, sans crier gare. Les deux hommes soupirèrent. Seamus le premier frappa son ami, qui riposta dans la foulée. Ils descendirent, attrapèrent leurs maigres sacs, et décidèrent unanimement de marcher les kilomètres restants. De les marcher séparément. Ils se retrouvèrent à la nuit tombée, dans l'appartement - meublé - qu'ils venaient de louer. Seamus était confortablement installé sur le canapé, tandis que Nash semblait essoufflé. Il avait perdu l'habitude de courir des heures, et fut à la fois surpris de constater que Seamus avait autant d'avance. « Il faut croire que j'ai la plus belle gueule de nous deux. En même temps, quand on voit tes bleus, on n'a pas vraiment envie de te prendre en stop. » Nash ne supportait plus ce ton ironique, et hautain. Il ne supportait plus le besoin de compétition qui s'était progressivement installé entre eux. L'un comme l'autre cherchait à être le meilleur, dans tous les domaines. C'était ce qui avait nourri leur amitié depuis des années. Mais, à cet instant, Nash voyait plus que cet esprit de supériorité. Ils étaient partis, tous les deux. Même si la vie ne les avait pas épargnés, même si elle leur avait mis pas mal de bâtons dans les roues, ils avaient réussi. Ensemble, ils avaient taillé la route, pour mieux se reconstruire. Ainsi, il tendit une main. Rompit les hostilités. « On se fait un film ? J'ai emmené les Fast and Furious. » Seamus étouffa un rire rauque. « T'as toujours été le plus faible. T'es trop sentimental. Ta nana, elle va te rendre esclave si t'es comme ça. » Nash déglutit péniblement, et fouilla ses affaires pour y trouver le dernier film sorti de la série, ainsi qu'un paquet de chips qu'il avait pris pour le dîner, s'ils n'avaient pu s'arrêter sur une aire d'autoroute. Ils s'affaissèrent dans le clic-clac, et jonglant entre les Tweets et Facebook pour se plaindre à leurs amis de leur confort précaire, regardèrent Vin Diesel interpréter Dominic Toretto, non sans se moquer bêtement de lui de temps à autres ou en plaisantant ab hoc et ab hac.